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+33 (0)3 21 216 216 Formulaire de contactL'Écho du Pas-de-Calais de décembre-janvier revient sur les inondations exceptionnelles, historiques qu'a connu notre département. Les dégâts sont énormes, la détresse humaine grande. Cumuls de pluies inédits, sols gorgés d’eau, dérèglement climatique, aide aux sinistrés, solidarité nationale et européenne… : le Président du Département, Jean-Claude Leroy, s'exprime sur cette catastrophe naturelle.
À plusieurs reprises, notamment dans le courrier adressé au Président de la République avant sa venue dans l’Audomarois le 14 novembre, vous avez employé les mots « chaos » et « désolation » pour décrire la situation d’une large moitié ouest du Pas-de-Calais, pourquoi ces mots forts ?
Jean-Claude Leroy : « Et on peut ajouter le mot « traumatisme », tant les événements brutaux subis par 400 communes ont profondément choqué les plus de 300 000 habitants concernés, les élus, mais aussi l’immense majorité de la population du Pas-de-Calais. Nous ne sommes pas près d’oublier les images impressionnantes de la moitié de notre territoire sous les eaux durant plusieurs semaines. Un niveau historique des précipitations qui a suivi la tempête Ciaran (il n’avait jamais autant plu dans le Pas-de-Calais depuis le début des mesures en 1958) et les crues de la Liane, de l’Aa, de la Canche, de la Lys, de la Hem, de la Course, du Bléquin, ont semé le chaos et la désolation dans ces 400 communes du Calaisis, du Boulonnais, du Montreuillois, de l’Audomarois, de l’Artois. Certaines étant littéralement coupées du monde. De mémoire d’anciens, on n’avait jamais vu ça ! 6 000 habitations ont été impactées, 10 000 sinistrés recensés.
Dans 279 communes, il a fallu fermer des écoles, des collèges et cela a concerné 150 000 élèves et 6 000 enseignants et agents techniques, administratifs. Il a fallu fermer des crèches, évacuer des dizaines de structures spécialisées, notamment pour personnes âgées dépendantes. Au plus fort de la crise, plus de 120 routes départementales, soit une longueur totale de 300 kilomètres, ont été barrées. Des chaussées se sont carrément effondrées. Les dégâts sont considérables. Au grand dam de leurs dirigeants et de leurs salariés, 130 entreprises n’ont pas été épargnées par cette catastrophe, incapables de reprendre leurs activités. Des artisans, des commerçants, ont tout perdu, leurs outils de travail, leurs marchandises. Les inondations ont également été dramatiques pour plus d’une centaine d’agriculteurs et éleveurs ; leurs conséquences se feront sentir durant plusieurs mois encore et sans doute sur les récoltes de 2024.
De nombreux habitants désespérés ont parlé d’une véritable « guerre contre l’eau ». Toutes les forces ont-elles été mobilisées pour lutter contre ces inondations ?
La solidarité a été générale. Je salue à nouveau l’engagement total des maires et des élus locaux : ils ont été jour et nuit sur le front des inondations, tout comme les agents communaux et intercommunaux. Je salue l’engagement du préfet et des services de l’État, des forces de l’ordre, d’Enedis. Cinq cents agents du Département du Pas-de-Calais ont été omniprésents. Les Centres d’entretien routier rattachés aux MDADT (Maisons du Département Aménagement et Développement territorial) du Boulonnais, du Calaisis, de l’Audomarois, du Montreuillois, ont eux aussi été actifs jour et nuit pour sécuriser la circulation, mettre en place les déviations, dégager les exutoires, gérer les coulées de boue, venir en aide aux habitants sinistrés. Des collègues d’autres territoires sont venus en renfort. La solidarité interne à la collectivité a fonctionné aussi à plein. Je salue l’engagement sans faille des sapeurs-pompiers du Pas-de-Calais - le Service départemental d’incendie et de secours du Pas-de-Calais (SDIS 62) financé principalement par le Département. Ils ont effectué durant ce mois de novembre quelque 3 000 interventions, 1 500 évacuations... Sans la mobilisation des sapeurs-pompiers, rejoints par la Sécurité civile déployant ses moyens nationaux de pompage ; par les bénévoles de la Protection civile, de la Croix- Rouge, la SNSM, la situation eût été hors de contrôle.
Je n’oublie pas la solidarité entre citoyens... Parents, amis, voisins, bénévoles venus d’autres territoires, étaient là pour aider, réconforter des habitants désemparés, fatigués. Admirable, tel a été le comportement des habitants du Pas-de-Calais.
L’appel à la solidarité de la Nation a-t-il été entendu ?
Des mouvements de soutien spontanés sont venus de toute la France. Ainsi, des sapeurs-pompiers de l’Aude, de l’Aveyron, de la Marne, de l’Allier, de la Seine-Maritime, de l’Eure, de la Haute-Vienne, de la Somme… ont rejoint leurs collègues du SDIS 62 pour leur prêter main-forte. Tous les médias de France ont évoqué ces inondations liées aux cumuls exceptionnels de pluie... Suite à mon interpellation, conjointe à celle du président de la Région des Hauts-de-France, le Président de la République est venu dans l’Audomarois, en compagnie de plusieurs ministres. Il a dit et répété que la Nation "ne lâchera pas le Pas-de-Calais", il a annoncé un fonds de soutien d’urgence et évolutif de 50 millions d’euros, un fonds exceptionnel pour les agriculteurs. La Première ministre est venue dans le Montreuillois ; les ministres de l’Intérieur et de l’Économie dans l’Audomarois.
Leurs propos ont été rassurants : le classement rapide de 214 communes sinistrées en état de catastrophe naturelle, un classement essentiel pour la prise en charge des assurances ; l’engagement d’une simplification administrative pour engager les travaux nécessaires à la sécurisation. Il faut souligner que l’alliance élus locaux-État-Département a pleinement fonctionné. Et tout le pays a mesuré ce qu’ont vécu les habitants du Pas-de-Calais, la Nation est à leurs côtés, le Président Macron a d’ailleurs parlé de l’affection de la Nation. Au-delà de la Nation, j’ai également demandé la mobilisation du fonds de solidarité de l’Union européenne.
Et le Département du Pas-de-Calais est plus que jamais aux côtés des habitants ?
Face à l’urgence, confrontée à une situation hors norme, l’administration départementale a toujours répondu présent pour la mise en sécurité de la population, la prise en charge solidaire dans les communes. Très vite, le Département a créé un fonds départemental d’urgence de 10 millions d’euros et adopté la prise en charge conditionnée des franchises des assurances des particuliers : une aide de 380 euros sans conditions de ressources si la résidence principale figure parmi les communes reconnues en état de catastrophe naturelle (mesure financée à part égale entre le Département et la Région à retrouver ici ). Très vite, il a décidé une aide exceptionnelle aux communes sur le modèle du FARDA, un soutien aux associations sinistrées.
Le Département a d’ores et déjà anticipé les conséquences sur les routes départementales, près de la moitié du réseau est touché et il faudra contrôler, réparer ou renforcer 600 ouvrages d’art dont 373 franchissent des cours d’eau. Toute une architecture routière a été impactée avec des conséquences sur les connexions avec l’ensemble des territoires. On estime à 10 millions d’euros les travaux exceptionnels à réaliser rapidement. Toutes ces mesures ont été examinées lors de notre débat d’orientation budgétaire.
Notre projet de mandat est construit autour des solidarités humaines, des solidarités territoriales, nous serons au rendez-vous, aux côtés des habitants et des territoires.
Lors de la venue d’Emmanuel Macron, vous avez insisté sur un effort de reconstruction sans précédent mené sous le principe de la résilience ?
Il s’agit bien sûr de réparer les dégâts causés par les inondations, dans les habitations, sur les routes (la reconstruction étant proche d’une année complète de maintenance du réseau routier départemental : près de 40 à 50 millions d’euros), dans les commerces et les entreprises, dans les exploitations agricoles, dans les écoles ; il s’agit de soigner les blessures psychologiques pour repartir de l’avant quand on a tout perdu et que l’on se demande si l’on peut continuer à vivre où l’on a toujours vécu. La détresse de bon nombre de nos concitoyens est immense. Nous veillerons à réparer tout ce qui fait le lien social dans les communes.
Quelles leçons faut-il tirer de ces phénomènes climatiques ?
Nous devons penser à l’après avec cette impression tenace qu’à l’heure du dérèglement climatique, nous revivrons encore de tels événements. Si des travaux d’aménagement (des bassins de rétention entre autres) effectués notamment suite à la crue de l’Aa en 2002 ont été utiles, ils se sont révélé insuffisants et nous devons accentuer nos efforts pour retenir l’eau où elle se trouve, en curant les fossés et les watergangs, en replantant des haies, en implantant des zones enherbées le long des cours d’eau. Des habitudes séculaires dans les domaines de l’agriculture, de l’urbanisme pour prendre deux exemples, devront évoluer, s’adapter. La topographie du Pas-de-Calais, pays de collines le rend fragile face aux inondations. Personne ne devra s’absoudre d’un gros travail de remise en cause. C’est pourquoi j’ai déjà rencontré au niveau de l’Agence de l’eau, André Flajolet, le président du Comité de bassin Artois-Picardie, pour évoquer avec lui l’ensemble de ces sujets afin d’agir au plus vite. Dans l’immédiat, pour le Département du Pas-de-Calais en pleine élaboration du budget 2024, dans un contexte financier tendu, les inondations de novembre 2023 apportent leurs flots de contraintes inattendues.»
Mais nous ferons face, comme nous l’avons fait lors de la crise sanitaire de la Covid-19.
Photos CD62 / Frédéric Berteloot